Le 1 er août 1785, La Boussole et L’Astrolabe, respectivement commandées par Jean-François Galaup de La Pérouse et Paul-Antoine Fleuriot de Langle, quittaient la rade de Brest pour un voyage de circumnavigation sans retour. Alors que Bougainville avait connu une expédition particulièrement heureuse, celle-ci fut marquée par tous les malheurs : A Port-aux-Français (ou Baie des Français), sur la côte ouest de l’Amérique du Nord, deux chaloupes furent renversées et vingt-et-un hommes périrent le 13 juillet 1786. Le 11 décembre 1787, aux îles Samoa, Fleuriot de Langle et plusieurs de ses compagnons furent massacrés par les indigènes. Peu après une escale à Botany-Bay en Australie, d’où parvinrent en France les dernières nouvelles de l’expédition, les deux bâtiments périrent à Vanikoro, sans doute vers mars 1788.

En 1791, d’Entrecasteaux et Huon de Kermadec furent envoyés à la recherche de Lapérouse, mais en vain. Le premier qui reconnut le site du naufrage fut le britannique Peter Dillon, dont la découverte fut confirmée par Dumont d’Urville un peu plus tard.

A Nouméa, l’Association Salomon a mené à Vanikoro plusieurs expéditions de fouilles sur les épaves et le « camp des Français ». La découverte la plus émouvante a sans doute été celle du squelette de « L’Inconnu de Vanikoro », depuis inhumé dans l’enceinte du château de Brest. De l’ADN a pu être extrait de ces restes, et on peut espérer que l’Inconnu sera un jour identifié…

Le projet est de perpétuer le souvenir de gens qui ont vécu une aventure extraordinaire dans des conditions difficiles, qui ont connu une fin tragique, et d e retrouver le maximum de descendants des membres de l’expédition. Etablir des généalogies descendantes est assez ardu, et une autre difficulté majeure est d’identifier précisément les membres de l’équipage dont nous avons la liste, mais sans filiation.

La jeunesse de la plupart des hommes embarqués laissant supposer que nombre d’entre eux n’avaient pas d’enfant lorsqu’ils se sont embarqués, nous accueillerons volontiers les descendants de leurs frères et sœurs, preuves à l’appui.

Les officiers et savants avaient laissé des écrits, parfois même un portrait, et leur souvenir restait vivace. Rien de tel pour les marins, dont le souvenir n’avait sans doute pas perduré au-delà de quelques générations. Ce sont surtout ces derniers que je me suis efforcée de retrouver dans les archives.

Pour des raisons de proximité, je me suis surtout attachée à retrouver les marins originaires des actuels départements du Finistère et des Côtes d’Armor. Les sources utilisées on été les registres paroissiaux, en particulier ceux mis en ligne par les archives municipales de Brest, la base RECIF du Centre Généalogique du Finistère et la base CORAIL du Centre Généalogique des Côtes d’Armor, consultables sur Généabank. Les registres conservés au Service de la Défense, Département Marine à Brest, m’ont également permis de retrouver beaucoup de marins provenant du Finistère, des Côtes d’Armor et d’Ille et Vilaine.

Il a été malaisé de retrouver certains des marins, car leurs patronymes ont été mal transcrits sur les rôles d’équipage de La Boussole et de L’Astrolabe : les n et les u ont été allègrement confondus (Jean François Audigou est ainsi devenu Audignon), et des patronymes bretons ont été carrément transformés par des scribes exclusivement francophones : Laurent Pointel est en fait Laurent Quentel, Jean Monensest en réalité Jean Moncus… Certains noms ont été carrément francisés : François Le Quigneur ou Quiguer (= boucher en breton), est devenu… François Boucher. Guillaume Stephan, comme tous les autres membres de sa famille, portait en fait à son baptême le patronyme Lesteven, autre forme bretonne du nom…

Les équipages avaient été « triés sur le volet » par Lapérouse et Fleuriot de Langle, les commandants des deux navires. Le Comte d’Hector, commandant de la Marine à Brest, qui avait reçu de Louis XVI la mission de préparer l’expédition, avait décidé de choisir surtout des marins bretons, « les meilleurs du monde ».
Dans une correspondance à la Cour, datée du 6 mai 1785, il écrivait à propos des équipages de L’Autruche et du Portefaix (qui seront rebaptisés L’Astrolabe et La Boussole) : « J’ai fait le choix des hommes qui en doivent composer l’équipage, pensant que les raisons qui ont engagé Mgr. à faire partir ces bâtiments de Rochefort doivent exclure les hommes de ce département. D’ailleurs les Bretons sont ceux les plus propres à faire des campagnes de ce genre, leur force, leur caractère, et le peu de calcul qu’ils font sur l’avenir doivent leur faire donner la préférence, aussi ces deux bâtiments en auront-ils leurs équipages entièrement composés. » (Registre 1A 117, Service Historique de la Marine à Brest).
Cette règle a toutefois souffert quelques exceptions.

La consultation des registres paroissiaux de Brest et de ses paroisses satellites (Recouvrance, Saint-Marc, Lambezellec) montre à quel point le port et la marine attiraient des marins et négociants de toute la France. Les mariages « mixtes » bretons-français sont nombreux, et on en retrouve des exemples chez les marins de l’expédition ou leurs ascendants. Le père de Jacques Daris, le maître d’équipage de La Boussole, est venu du Gers. Etienne Lormier, le second-maître d’équipage de La Boussole, vient du diocèse de Rouen, et a épousé une jeune fille de Recouvrance. Le père de Jean Grosset, maître voilier sur L’Astrolabe est originaire du diocèse de Nantes, le grand-père de sa mère, Anne La Fosse, est né à Agon dans le diocèse de Coutances et s’est fixé à Brest après son mariage en 1694 avec une jeune fille de Landunvez).

On s’aperçoit que ces marins avaient tissé des liens bien avant l’expédition. Beaucoup avaient fait partie des équipages des mêmes navires lors de la Guerre d’Indépendance. Il existait aussi entre certains des liens de parenté (Louis Marie Mezou, cordier sur La Boussole, et Guillaume Marie Godebert, contremaître sur L’Astrolabe, sont cousins ; Olivier Creachcadec, second maître et aide voilier sur L’Astrolabe, a épousé Anne Catto, une cousine germaine du « coq » de La Boussole, Jacques Quiniou) ou d’affinité (sur L’Astrolabe, Sébastien Rolland, le contremaître, est le filleul d’Etiennette Perrine Siviniant, belle-mère du premier maître, François Lamare).

Il est surprenant de constater que des « fils de bonne famille » se sont engagés comme simples matelots. Ainsi Charles Jacques Antoine Riou, de Morlaix, est-il le fils d’un avocat au Parlement, et le frère de François Riou de Kersalaun, qui sera l’avocat des Administrateurs du Finistère lors de leur procès en 1794, député du Finistère au Conseil des Cinq-Cents, Président de l’Assemblée Nationale en 1797, premier préfet du Cantal, et baron d’Empire. « Bertrand Leisseigne », matelot sur L’Astrolabe, est en fait Bertrand de Leissegues, lui aussi issu d’une famille de notaires et de magistrats.

La recherche des marins a révélé des destins émouvants, comme celui de Pierre Marie Lastennec, fils de calfat, orphelin de père et de mère à dix ans, engagé comme mousse à onze ans lors de la Guerre d’indépendance des Etats-Unis, pris par les Anglais à quinze ans, et embarqué à dix-huit ans sur La Boussole. Ou celui de Jean Cohonnec, enfant sans père, et dont la mère est venue accoucher dans une auberge de Lambezellec, avant de ramener le petit Jean dans sa famille à Plouezoc’h. Ou de François Marie Omnès, forgeron sur L’Astrolabe, qui demande que l’on paie à sa mère une partie de sa solde : sans doute savait-il que son père n’en avait plus pour longtemps (il est décédé six jours après le départ de Brest de l’expédition).
Quelques enfants sont nés après ce départ, qui ne connaitront jamais leur père.

On imagine sans peine l’attente et l’angoisse des épouses, qui ne voient pas revenir les deux navires, qui auraient dû être de retour à Brest en 1789. Un groupe d’entre elles écrivit « Aux législateurs » en 1791 :
« Nos maris sont à faire le tour du monde avec la Peyrouse depuis le 1 er août 1785, sans nous avoir envoyé aucun secours. Il nous en a été accordé et délivré par l’état jusqu’au 30 novembre 1788. Par quelle fatalité la patrie nous abandonne-t-elle… Pourquoi Mme La Peyrouse par un décret du 22 avril 1791, est-elle de préférence autorisée à recevoir les appointements de son mari et qu’aucune loi ne prononce en notre faveur ? En réclamant votre justice, législateur, nous souffrons de cette préférence que la nation fait à Mme La Peyrouse, à nous qui avons peut-être plus besoin de secours… »
(Signé)
La Vincent Le Fur [Marie Le Dein, femme de Vincent Le Fur, maître d’équipage sur La Boussole ],
La Pogam   [Anne Moues, femme de Pierre Marie Fidèle Pogam, de Morlaix, marin sur L’Astrolabe ];
La Paule   [Marie Julienne Rallon, femme de Jean François Paul, maître-calfat sur L’Astrolabe ] ;
La Grossette   [Marie Catherine Michel, femme de Jean Grosset, maître voilier sur L’Astrolabe ] ;
La Léon   [ Catherine Guillemette Bernard, femme de Mathurin Léon, premier pilote sur L’Astrolabe ] ;
La Daris [Marie Guillemette Trotel, femme de Jacques Daris, premier maître sur La Boussole]  ;
La Lormière  [Marie Anne Le Pape, femme d’Etienne Lormier, second maître sur La Boussole ] ;
Marie-Louise La Lamard [en fait Marie Suzanne Puchot, femme de Louis Lamare, premier maître sur L’Astrolabe ] .
(B4-319, année 1791.)

Certaines des épouses de marins décéderont sans savoir que l’expédition s’est perdue. D’autres se verront contraintes, afin de pouvoir se remarier, de divorcer « pour cause d’absence de plus de six ans » à la faveur de la loi sur le divorce de 1792. Ce sera notamment le cas d’Anne Catto, épouse d’Olivier Creac’hcadec, de Marguerite Cotillon, épouse de François Quiguer, de Catherine Bernard, épouse de Mathurin Léon, de Marie Guillemette TROTEL , épouse de Jacques DARIS .

Vous trouverez dans les fiches individuelles des marins des détails sur leur carrière, leur famille (généalogie ascendante et descendante). Aucune personne née il y a moins de cent ans n’est citée, sauf sur demande expresse de sa part.

Tous renseignements complémentaires sur les marins seront les bienvenus (en particulier sur les fusiliers, canonniers et domestiques, dont nous ne connaissons ni l’origine géographique ni la filiation).

La famille des descendants de l’expédition La Pérouse réunie en juillet 2004 à BREST

Certains se connaissaient, d’autres pas ; pourtant, ils avaient tous un point en commun, celui d’appartenir à un petit cercle (qui ne demande qu’à s’agrandir) des descendants des membres de l’expédition La Pérouse. A l’invitation de l’historien Alain Boulaire et de Marie-Annick Renaud-Morvan, du Centre Généalogique du Finistère, ils se sont retrouvés les 9 et 10 juillet, dans le cadre des festivités de Brest 2004.

En préambule, quelques uns avaient pu se retrouver à Quemper-Guezennec pour y dévoiler une plaque à la mémoire de Paul Antoine Fleuriot de Langle.

A Brest, guidés par Alain Boulaire, ils ont pu retrouver la plaque rappelant le destin de l’expédition,

visiter le Musée de la Marine avant de rejoindre le vallon du Stangalard pour une passionnante visite du Conservatoire Botanique.

Sur place, ils ont aussi pu découvrir l’exposition « Des marins et des plantes », consacrée aux grands explorateurs qui ont rapporté de nombreuses variétés de plantes.

Lors de l’inauguration de l’exposition consacrée à La Pérouse, sur le stand de la Marine Nationale à Brest 2004, les descendants des membres de l’expédition étaient tous sur le pont. Ils ont ainsi pu admirer les nombreux objets extraits des fouilles réalisées aux Iles Salomon, et la reconstitution du visage de « l’inconnu de Vanikoro », que beaucoup ont pu voir dans l’excellent document présenté dans le cadre de l’émission Thalassa sur France 3, le 11 juin 2004.

Cette première rencontre a montré l’appui réel que la généalogie, et particulièrement le CGF, peuvent apporter à l’histoire.

Norbert L’Hostis